Rencontre avec des Étoiles de la Cuisine Belge

Rencontre avec des Étoiles de la Cuisine Belge

Samedi 18 janvier 2014

Photo Soirée

1. Présentation

En cette soirée du samedi 18 janvier 2014, l’entreprise Rishouentea a eu l’immense privilège de pouvoir rencontrer trois grands chefs venus de Belgique : Gert de Mangeleer, Viki Geunes, David Martin et de Willem Asaert, journaliste expert en cuisine. La rencontre a eu lieu au restaurant Wakuden Muromachi situé au coeur de Kyôto, réputé pour sa cuisine élaborée apportant des touches de modernité à des mets traditionnels et son ambiance raffinée, l’environnement parfait afin de discuter avec ces passionnés du goût.

Petit tour des invités haut en couleur assis à la même table que nous :

Gert de Mangeleer est le chef du restaurant trois étoiles Hertog-Jan à Bruges, où ils travaille de concert avec Joachim Boudens, élu sommelier de l’année en 2012. Les deux partenaires possèdent leur propre ferme où ils font pousser plusieurs centaines de légumes et d’herbes aromatiques et comptent même y déménager leur restaurant, permettant ainsi aux clients d’apprécier le goût, le parfum mais également la vue de tous les produits saisonniers soigneusement sélectionnés et préparés dans les plats uniques du maître.

Viki Geunes est le chef du restaurant deux étoiles ‘tZilte à Anvers où il officie en cuisine ouverte, donnant aux curieux la chance de goûter aux plaisirs de l’action culinaire sans pour autant troubler leur tranquillité. L’établissement, situé en hauteur, offre en extérieur une vue imprenable sur la ville et ses monuments et en intérieur une décoration contemporaine remarquable. La cuisine se veut innovante tout en respectant le produit.

David Martin est le chef de la brasserie La Paix à Bruxelles, la seule du pays à posséder une étoile au guide Michelin. Oubliés sont les préjugés infondés que nous avons à l’écoute du nom brasserie, La Paix a tout d’un grand restaurant, avec en prime la convivialité. Amoureux des produits du terroir qui ont marqué son enfance, il sait les mettre au service d’une cuisine historique qu’il renouvelle sans la dénaturer. En dehors des fourneaux, il anime une petite émission gastronomique à la radio.

Willem Asaert est journaliste expert en cuisine qui écrit pour de nombreux magazines et a aussi publié plusieurs romans sur le sujet dont un en collaboration avec Johan Segers, le patriarche de la gastronomie belge. Son travail assidu et détaillé lui a valu de nombreux prix notamment au Gourmand World Cookbook Awards.

À leurs côtés, l’entreprise Rishouentea, représentée par Kagata Kouji et Kagata Mie, distributeur reconnu de thés, comptabilisant 27 étoiles au total dans le guide Michelin, fournisseur officiel de nombreux restaurants étoilés dont Wakuden et, directement en rapport avec cette rencontre, exportateur en Europe. Enfin, dernier membre présent à cette soirée, moi-même, Ducollet Cyril, traducteur interprète et responsable de la clientèle étrangère au service de Rishouentea.

 

2. Déroulement

Tout en se délectant d’un repas exquis et en dégustant du thé de grande qualité, nous avons abordé plusieurs points différents avec les trois chefs cuisiniers, venus au Japon en quête de techniques, de saveurs et d’inspirations nouvelles : l’association entre le thé et la cuisine japonaise et ensuite la cuisine belge, le mariage entre fromage et thé vert, le projet actuel de Rishouentea, et en dernier le thé pétillant ou Utatamacha, création originale de Kagata Kouji.

Après de brèves salutations, nous avons attaqué sans tarder le coeur du sujet avec le thé de bienvenue (omukae no ocha), un Gyokuro de l’an 23 de l’ère Heisei, infusé par Mr. Kagata lui-même et servi tiède afin de ne libérer que la saveur Umami du thé, et qui a fait très forte impression de par son goût, assimilé par nos compagnons de table à un doux bouillon.

Le thé de bienvenue, hormis le sens contenu dans son nom, a trois rôles principaux :

–        Renouveler l’impression laissée dans la bouche et le cerveau par la saveur du dernier aliment consommé, permettant ainsi à tous de commencer le repas sur la même ligne de départ.

–        Entraîner le cerveau et les papilles gustatives, autrement dit, un échauffement afin d’être dans les meilleurs conditions possibles.

–        Revigorer l’estomac et accélérer la secrétion des enzymes du foie assurant la décomposition de l’alcool bu ensuite grâce à la catéchine présente dans le thé.

Après avoir bu le Gyokuro Hana, nous avons entamé le repas avec le Kaburamushi (poissons cuits à la vapeur et surmontés de navet râpé), petit met servi uniquement au coeur de l’hiver, et poursuivi notre voyage culinaire jusqu’au Haru no Nabe (marmite du printemps), et ses légumes amers accompagnés d’une viande succulente, avec entre deux, poissons (Hiuo, Buri, Moroco ou Hizakana), coquillages (Awabi, Kaibashira) et crevettes (Kuruma Ebi). Entre les plats, la deuxième infusion de Gyokuro, à température plus élevée, libérant son goût Shibumi (astringence) mais qui s’est laissé boire tout seul sans gêner le goût des aliments suivants selon les dires de nos compagnons de table, ainsi que plusieurs infusions de Sencha Kaze, de la même année, et servies chaudes. Enfin, avec les plats, un Houjicha, thé torréfié.

Le Gyokuro et le Sencha bus entre les plats nous ont permis de rafraîchir notre bouche et d’apprécier pleinement la richesse des saveurs de tous les mets composant le menu, spécialement conçu pour l’occasion par le chef cuisinier de Wakuden, Mr. Takimura, qui lui a donné un sens tout particulier : débutant en hiver, avec le Kaburamushi, le repas progresse jusqu’au printemps, symbolisé bien sûr par la marmite de légumes amers mais également les coquillages, exprimant l’écoulement du temps. Ce n’est cependant pas tout, le légume Kuwai, servi vers la fin et normalement dégusté en début d’année, renvoie au sentiment de nostalgie, de regret des bonnes choses qui se sont achevées suite au passage des jours (nagorioshii). Dans la cuisine japonaise, le sens donné au menu par le chef cuisinier est le signe de son hospitalité envers ses clients.

Avec le dessert, nous avons bu un faible Matcha (Ousu) nommé Kensou no Shiro, nom donné par Mr. Kagata. « Ken » se refère aux gouttières ou plus précisément la partie suspendue des toits où elles sont alignées et « sou » aux fenêtres, évoquant ensemble la vue du restaurant tandis que « shiro » renvoie à la couleur blanche vers laquelle le Matcha tendait légèrement.

En guise de final nous avons testé le mariage entre fromage et thé pétillant avec des morceaux de Taleggio et de Le Mellois. Une expérience fort étonnante et réussie qui nous permet de reconsidérer la place du thé au sein de la cuisine étrangère.

 

3. Conclusion

Que retenir de ce repas en terme de relation entre deux cultures culinaires très différentes ? Les trois chefs cuisiniers présents l’ont tous affirmé : ils ne sont évidemment pas venus au Japon afin d’ouvrir un restaurant japonais une fois de retour en Belgique. Non, s’ils ont voyagé aussi loin c’est pour voir, apprendre des techniques employées par les chefs japonais, et découvrir de nouvelles sensations. Sur ce dernier point, je pense que nos intérêts concordent. De plus, ils ont exprimé le désir d’intégrer l’usage du thé dans leur cuisine, cherchant autre chose que l’image persistante du Matcha à la seule évocation des mots « thé vert japonais ». Ce sont donc des personnes ouvertes d’esprit et curieuses qui nous ont donné leur avis.

Le principal problème qui me vient à l’esprit concerne la consommation du thé en cours de repas, qu’il soit entre les plats ou pendant leur dégustation, à la place du vin. Les différences de moeurs à ce niveau entre le Japon et la Belgique ou la France sont trop importantes. Il est inconcevable que le thé prenne la place du vin et la comparaison entre les deux est, comme il a été dit, très dangereuse. Cependant, les solutions pour intégrer le thé japonais dans la cuisine européenne ne manquent pas :

Au sein du restaurant Hertog-Jan, le fromage est servi avec trois vins différents, laissant la liberté de choix au client. Pourquoi ne pas proposer progressivement du thé en accompagnement de l’alcool ? Plutôt que de prendre la place du vin, le thé vert japonais peut en devenir le partenaire idéal. De plus, le prix plus abordable d’un bon thé le rend accessible à une clientèle plus large, un atout considérable en temps de crise économique. Sans compter la présence de personnes qui ne boivent pas d’alcool, par choix ou par obligation, et qui aimeraient un breuvage se mariant convenablement avec leur fromage ou tout simplement leur nourriture. N’oublions pas le repas du midi où la consommation d’alcool est beaucoup plus faible que lors du dîner. Le thé ne prendrait alors pas la place du vin mais viendrait seulement là où il n’est pas présent habituellement.

C’est un long chemin qui s’annonce devant nous mais celui-ci mérite d’être emprunté et les résultats que nous obtiendrons au bout dépendront de ceux qui nous auront accompagnés.

Ce repas a été une expérience très enrichissante et les membres de Rishouentea, dont moi-même, avons passé un très agréable moment. Merci à Gert de Mangeleer, Viki Geunes, David Martin et Willem Asaert d’avoir accepté de nous rencontrer et de nous avoir fait part de leurs opinions.

En espérant avoir la chance de vous revoir bientôt, je vous souhaite à tous un bon séjour riche en découvertes culinaires au pays du Soleil Levant.